Pluie de science | Mon amie la fraiseuse

Un article écrit par Anne Fleischman, le 7 février 2013.

Et si l’on créait des objets au lieu d’en acheter? Et si l’on réparait au lieu de remplacer?Un peu partout, une pluie techno-écologique fait fleurir des «Fab Labs», des ateliers de fabrication publics qui pourraient bien chambouler nos rapports avec l’innovation et la technologie. 

À la fin des années 90, le MIT ouvrait le tout premier FABrication LABoratory, un lieu où le chaland peut librement se servir de machines-outils jusqu’alors réservées au milieu industriel pour dessiner, créer ou dupliquer des objets –de la pièce manquante d’une vieille laveuse brisée au buste grec qui trônera sur une cheminée.

Vingt ans plus tard, l’explosion des logiciels libres de modélisation 3D et la baisse des coûts des matériaux électroniques ont donné à ces laboratoires citoyens une formidable rampe de lancement: on en compte aujourd’hui 150 dans le monde, principalement en Europe et aux États-Unis.

Imprimantes 3D, découpeuses laser et autres fraiseuses de précision à portée de main: du bonbon pour les bricoleurs, disent les uns; un terreau fertile pour faire germer l’innovation, pensent les autres. Au Québec, le premier atelier de fabrication numérique, baptisééchoFab, a ouvert ses portes en 2012.Fabrication numérique 101

«L’idée est que les citoyens s’approprient les technologies de fabrication numérique qui envahiront notre quotidien dans un futur proche, qu’on le veuille ou non », dit Marc-Olivier Ducharme, coordonnateur d’échoFab.

Une imprimante 3D dans chaque foyer? C’est ce que les spécialistes entrevoient. Chris Anderson, l’ex-patron de magazine Wired, prédit même que cette petite révolution aura plus d’impact que l’arrivée d’Internet. Les «makers», adeptes de la confection maison d’items de toutes sortes, sont parmi nous…

Deux jours par semaine, Marc-Olivier et ses complices de l’organisme Communautique préparent donc l’avenir et accueillent gratuitement des personnes désireuses de se frotter à une technologie gros calibre.

Le public est encadré par trois animateurs qui transmettent le b.a.-ba des machines et des logiciels de modélisation à la base de la fabrication ou de la reproduction d’objets.

Régulièrement, des spécialistes bénévoles offrent des ateliers de formation pratiques et vulgarisés sur des sujets aussi pointus que le moulage ou les logiciels libres de prototypage numérique.

«Notre objectif est que les gens s’autoforment. On est là pour répondre aux questions, pour leur donner un coup de main, mais on ne va pas manipuler les appareils à leur place. On croit à l’apprentissage par le faire.»

Se reconnecter avec la réalité

Et le public en redemande. «On accueille des étudiants en génie qui n’ont pas la chance d’avoir accès dans leurs universités au matériel que nous avons ici, mais aussi des designers industriels, des artistes, des chômeurs, des retraités… Bref, des personnes qui souhaitent toutes se réapproprier le monde qui les entoure.»

À échoFab, la sensibilisation à la technologie a en effet de forts accents écologiques. «Ce n’est pas parce qu’on apprend à utiliser les machines que tout le monde va se mettre à fabriquer des objets en plastique inutiles juste pour le plaisir. Au contraire! L’idée est de les aider à faire des choses seules à partir de matériel de récupération par exemple, ou à réparer les objets plutôt qu’à les jeter.»

Une mise en pratique directe du mouvement Do it yourself («Faites-le vous même») qui connait une popularité grandissante en occident, et du bon vieil adage qui veut qu’il est préférable d’enseigner l’art de la pêche plutôt que de distribuer du poisson. «Notre idéal est de rendre les gens plus autonomes face à la société de consommation tout leur permettant d’être moins déconnectés de la réalité des objets dans laquelle on vit.»

Des machines et des hommes

Mais au-delà de la techno, ce qui prime, à échoFab, c’est le réseau. «La communauté de personnes qui partagent leurs connaissances font des Fab Labs des endroits incroyables», soutient Marc-Olivier.

En pratique, certains viennent avec un projet précis en tête, d’autres participent à une création collective. Tous bénéficient de la créativité partagée. C’est ainsi que le tout premier projet réalisé à échoFab, un système d’irrigation programmé destiné à l’entretien des murs végétaux et des jardins de toits, a bénéficié de l’expertise combinée de plusieurs joyeux bricoleurs.

«L’expérimentation est libre, il n’y a aucune pression à innover ou inventer quelque chose, et pas de travail de fin de session à rendre… C’est l’avantage d’un tiers lieu qui n’est ni un centre de formation, ni un milieu professionnel: les gens viennent apprendre des choses simplement pour le plaisir. Du coup, l’émulation et l’entraide donnent des résultats étonnants.»

C’est ainsi que Serge, un ingénieur à la retraite qui fréquente régulièrement l’endroit par simple curiosité, a récemment contribué à sauver un projet de restauration d’un vieil orgue de 1946 initié par un autre participant. «Il a fait appel à son réseau professionnel pour trouver des équivalents et recréer les composants défectueux et trop vieux pour être remplacés à l’identique», raconte-t-il.

Pour l’amour de l’art

L’artiste Pascale Malaterre a, de son côté, trouvé à échoFab un véritable lieu d’inspiration. «Certains outils ont un potentiel créatif exceptionnel, comme les fraiseuses qui permettent de graver dans de la mousse ou de l’acrylique, ou encore les logiciels de “sketch-up” pour modéliser des objets en 3D, les triturer, les transformer… Cela m’a ouverte à des univers totalement nouveaux.» Pascale Malaterre est notamment à l’initiative du projet collaboratif «La guitare de Mohamed»: la modélisation et la fabrication, à partir d’une guitare, d’un instrument aux cordes ajoutées pour obtenir des sons à résonnance orientale.

«La seule contrainte est de documenter tous les projets qui sont menés ici pour les rendre accessibles à tous. C’est une condition de la Charte internationale des Fab Labs à laquelle nous souscrivons», poursuit Marc-Olivier. Une obligation qui s’inscrit dans l’esprit de partage et de communauté qui fait la griffe de ces ateliers publics.

Des Fab Labs à l’école?

«Une nouvelle approche dans l’apprentissage des sciences devrait laisser davantage de place à la créativité et à l’expérimentation.» C’est l’un des constats des Rendez-vous de l’Île du savoir, qui a eu lieu à l’automne 2012 à l’initiative de la Conférence des élus de Montréal. La porte ouverte pour des Fab Labs scolaires. Avec la complicité d’échoFab, le Centre de création pédagogique Turbine a d’ailleurs récemment mis sur pied un «Fab Lab mobile» à l’intention de jeunes en insertion professionnelle.

Le projet, davantage axé sur la dimension artistique que strictement technologique, a tout de même confirmé l’intérêt de ce type de projet, tant du côté des jeunes participants que des animateurs. Comme l’explique Antoine Roy-Larouche, gestionnaire de projet au Centre Turbine, «travailler avec des technologies aussi émergentes représente un risque qui a un côté très excitant: on est vraiment dans une logique d’expérimentation. De plus, il y a une dimension fascinante dans la démarche, car on a l’habitude de numériser des choses, de partir du réel pour arriver au virtuel. Faire l’inverse, c’est inhabituel et ça a énormément plu aux jeunes »

Quant à Marc-Olivier, il a déjà accueilli à échoFab deux enfants venus fabriquer un bol pour leur chat… L’avant-garde de la fabrication numérique maison est bel et bien en route!